S’engager dans une transition écologique juste : utopie ou réalité ?

Publiée le 09.01.2023

Le 15 décembre 2022, FAIR donnait rendez-vous à ses adhérents pour un petit-déjeuner débat autour de la question : « S’engager dans une transition écologique juste : utopie ou réalité ? ».

Retour sur cette matinée riche en échanges.

Le 15 décembre dernier, FAIR donnait rendez-vous à ses adhérents pour un petit-déjeuner débat autour de la question « S’engager dans une transition écologique juste : utopie ou réalité ? ».

En effet, à l’heure où la demande citoyenne augmente pour plus de solidarité et d’écologie dans la finance, la prise en compte des enjeux environnementaux devient incontournable dans tous projets. Aujourd’hui, comment s’engager dans une transformation qui répond aux grands enjeux écologiques, tout en assurant ses missions solidaires ? Par quels moyens le faire ? Et surtout, comment assurer sa cohérence, de l’élaboration à la mesure d’impact du projet, en passant par sa mise en œuvre ?

Pour répondre à ces questions, Sarah Perrier, coresponsable du Pôle Etudes & Innovations chez FAIR, donnait la parole à :

  • Antoine Anquetil, responsable du développement de Solifap (Fondation Abbé Pierre),
  • Pierre-Alix Binet, responsable des affaires institutionnelles et règlementaires de La Banque Postale,
  • Mathieu Garnero, directeur projet Life Finance ClimAct à l’Ademe,
  • Lucie Pinson, fondatrice et directrice de Reclaim Finance.

FAIR revient sur cette matinée de partage de pratiques et d’échanges.

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De gauche à droite : Lucie Pinson (Reclaim Finance), Mathieu Garnero (Ademe), Pierre-Alix Binet (La Banque Postale), Antoine Anquetil (Solifap) et Sarah Perrier (FAIR).

Allier mission sociale et transition écologique : une évidence

Solifap est une société d'investissements solidaires créée par la Fondation Abbé Pierre et AG2R LA MONDIALE en 2014, ayant pour mission de financer de nouvelles solutions de logement pour les plus fragiles et de soutenir les acteurs dans leur combat pour le mal-logement.

Bien que le cœur de son engagement soit axé sur le solidaire, Solifap s’engage de plus en plus dans la transition écologique. En effet, en prônant le logement pour chacun, Solifap défend un certain modèle de logement, confortable et adapté, dont la rénovation énergétique permet de diminuer le poids dans le budget des ménages. C’est aussi une question de cohérence : Solifap fait appel à la finance solidaire, et donc à l’épargne de particuliers, qui attendent des acteurs un alignement de la responsabilité sociale avec la dimension écologique.

Le régulateur joue également un rôle important : les passoires thermiques vont être progressivement interdites à la location, et les acteurs de la réhabilitation des logements vont être confrontés, sur une partie de leur parc, à la question de leur rénovation ou de leur revente. Ces acteurs sont souvent fragiles et il faut les accompagner et les préparer, d’autant plus qu’il n’existe pas de dispositifs financiers pour eux, que ce soit pour de l’optimisation écologique ou pour envisager une construction sociale durable.

La transition écologique peut être un levier pour l’émancipation des plus pauvres et des exclus. La seule question à se poser est celle du financement de cette transition, car l’individu ne doit pas porter cette question : c’est une responsabilité collective. La finance solidaire fait particulièrement sens dans cette situation, au service d’une amélioration durable et juste de la société, et les fonds solidaires dits « 90/10 » ainsi que l’actionnariat solidaire portent ces valeurs.

 

La régulation comme réponse aux risques de greenwashing ?

L’Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) est un acteur public qui vise à accélérer le passage vers une société plus sobre et solidaire. Son intervention repose sur des actions d’information et de sensibilisation, d’expertise, de conseil et de diagnostic mais aussi de financement auprès des particuliers comme des professionnels.

L’Europe ayant impulsé une stratégie de finance durable, les réglementations d’aujourd’hui se posent comme une réponse pour accompagner la transition de l’économie. Les directives européennes définissent un référentiel et permettent d’adopter les meilleures pratiques en ayant une approche long terme. Mais elles questionnent les acteurs sur la manière dont ils peuvent contrôler la cohérence de l’ensemble de la chaîne et sur les surcoûts liés à un tel engagement. C’est pourquoi le rôle de l’Ademe est primordial pour accompagner les entreprises dans leur transition.

Quand les enjeux environnementaux sont adressés, la première demande est pour plus de transparence : qu’y a-t-il à l’intérieur des produits et comment opèrent les entreprises ? Des normes extrêmement précises sont définies sur des éléments de transparence à publier, que ce soit du côté des acteurs financiers (tel le règlement Sustainable Finance Disclosure Regulation - SFDR) ou du côté des entreprises (comme la directive Corporate Sustainability Reporting  - CSRD). Si ces réglementations ne garantissent pas que les acteurs agissent de manière durable, ils permettent de savoir précisément ce qu’ils font. Depuis 2017, les entreprises ont aussi un devoir de vigilance, ce qui implique une responsabilisation vis-à-vis de leurs activités.

Ces régulations permettent de lutter contre le greenwashing, qui peut exister quand il n’y a pas de définition ou de critères clairs, et qui laissent alors la place à des interprétations souples. Il est donc essentiel de faire avancer les normes.

 

La (complexe) mise en application des nouvelles réglementations par les acteurs financiers

Filiale du groupe La Poste, La Banque Postale est une banque de proximité présente sur tout le territoire. A La Banque Postale, la mise en application opérationnelle des directives européennes s’est faite à l’échelle du groupe afin de réunir tous les acteurs autour de la table. Et les difficultés de mises en œuvre sont nombreuses.

Le SFDR laisse de la place à une interprétation de la réglementation car les textes sont flous et les lignes directrices ne sont pas coordonnées au niveau des régulateurs européens. Une doctrine sur le SFDR a donc dû être construite, l’occasion d’échanger avec les autres acteurs du secteur afin de s’accorder sur le sujet et d’éviter toute finance durable auto-proclamée.

Aujourd’hui, La Banque Postale a mis en place un questionnaire pour déterminer les « préférences de durabilité » des clients. Il faut former les 30 000 conseillers sur l’ensemble du territoire et des ateliers de sensibilisation leur sont proposés (fresque du climat, formations sur les risques climatiques, etc.).

En parallèle, La Banque Postale a aussi décidé de formaliser des engagements exigeants et s’est engagée à sortir totalement des énergies fossiles d’ici 2030. La Banque Postale souhaite ainsi établir des standards qui puissent être partagés par ses pairs. Une politique sectorielle sur les énergies fossiles a été publiée en octobre 2021 afin d’encadrer les pratiques d’investissement dans ce domaine : ne plus financer des projets énergétiques s’appuyant sur le fossile, qu’ils soient existants ou nouveaux, ne plus proposer de projets financiers aux entreprises engagées dans les énergies fossiles, arrêter de soutenir des entreprises engagées activement dans des activités de lobby sur les énergies fossiles. Cela est également le cas pour les entreprises qui n’ont pas engagé de plan de transition pour sortir des énergies fossiles d’ici 2030.

Le risque doit maintenant être analysé différemment, car la prise en compte des risques climatiques amène à faire des choix d’investissement différents pour les financeurs. Il est donc primordial d’accompagner les personnes qui travaillent au quotidien sur les questions d’investissement pour adapter les analyses à des enjeux qui ont beaucoup évolué ces dernières années ou encore créer des fonds spécialisés permettant de financer certains projets qui font sens malgré une analyse de risque défavorable. Ces évolutions sont autant d’opportunités d’attirer de nouveaux clients, de faire évoluer leur analyse de risque et de se former au maximum.

 

Aller encore plus loin pour répondre réellement aux enjeux de la transition écologique

L’objectif de Reclaim Finance est simple : mettre la finance au service du climat. Car aujourd’hui, pour répondre réellement aux enjeux climatiques, il n’est plus possible de développer de projets dans l’énergie fossile et il faut, au contraire, investir massivement dans les solutions d’énergies durables. C’est la logique de la double matérialité : il ne s’agit pas seulement de se protéger, mais aussi d’adopter des politiques qui ont un impact positif. Par ailleurs, les épargnants ayant une faible connaissance de ces sujets, ils doivent être formés aux enjeux liés à la finance et plus spécifiquement l’orientation de leur épargne, afin qu’ils deviennent moteur du changement.

C’est aussi au régulateur d’intervenir, à travers des mesures d’interdiction de financement et d’encadrement des pratiques. Les banques centrales doivent quant à elles faire preuve de plus d’audace et adopter des règles prudentielles pour dissuader le financement d’activités qui n’ont plus de sens aujourd’hui.

La Banque Postale a été le premier acteur bancaire de taille importante à prendre une position claire sur les énergies fossiles, et cela lance l’impulsion. Maintenant tous les acteurs financiers doivent faire plus en appliquant ce qu’ils font aux énergies fossiles à tous les secteurs, et surtout en étant cohérent à l’échelle des groupes.

Les démarches d’engagement (par exemple grâce à l’actionnariat engagé qui vise à impulser des changements sociaux et environnementaux au sein des entreprises dont on est actionnaire) et d’exclusion sont complémentaires, et l’exclusion n’arrive qu’en cas d’échec de l’engagement. L’enjeu est de transformer l’économie.

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